Daniel Boukman, notre ami martiniquais, a longtemps vécu à Alger (62-82), rue Larbi Ben M’hidi plus précisément, dans un petit studio situé à deux pas de la Cinémathèque.

C’est dans ce lieu, qu’il fréquentait assidûment, que nous avons fait sa connaissance et qu’une solide amitié s’est nouée entre nous. Tous les cinéphiles se souviennent sans doute de lui, aux côtés de Sid-Ahmed Agoumi, dans le film d’Ahmed Rachedi L’aube des damnés.  Partageant les idées de Frantz Fanon, Daniel avait refusé de faire la guerre en Algérie et avait déserté avec courage l’armée française.

Une fois l’indépendance de notre pays conquise, il est venu participer, en tant qu’enseignant, à l’œuvre titanesque de reconstruction nationale. Il a ainsi contribué à former de nombreuses générations d’élèves du lycée de Boufarik. Parfois, alors que nous étions en sa compagnie, il nous arrivait de croiser quelques-uns de ses élèves. Ils le saluaient avec respect en l’appelant professeur et le sollicitaient pour des conversations qu’il ne refusait jamais. Daniel, qui appréciait le cinéma, passait beaucoup de son temps libre à la cinémathèque pour voir des films bien sûr mais aussi pour participer aux débats en compagnie de ses compères Momo, le poète, et Ouahid, le musicien. A l’époque, ces séances-débats passionnées pouvaient durer jusqu’à l’aube. Momo et lui, curieux et vifs, intervenaient souvent alors que Ouahid, attentif et silencieux, ponctuait ses réflexions par des mots marmonnés dans sa barbe blanche.

Daniel était parfois l’animateur de ces séances, surtout lorsque des cinéastes africains ou latino-américains étaient présents. Ainsi, nous n’oublierons jamais la manière, à la fois rigoureuse et pleine de tact, avec laquelle il avait mené des débats difficiles, car politiques, avec l’Algéro-Mauritanien Med Hondo, les Sénégalais Sembène Ousmane, Jibril Diop ou Safy Faye, le Nigérien Omarou Ganda, l’Haïtien Jacques Arnold, le Bolivien Sanjines, le Chilien Raoul Ruiz, etc. Avec Med Hondo, Daniel a entretenu des relations plus suivies, allant jusqu’à lui proposer un scénario sur les «Nègres-Marron d’Afrique» que Med a adapté au cinéma sous le titre de West Indies.

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Mais Daniel, homme entier et intransigeant, avait tellement été déçu par ce film qu’il avait décidé de couper avec le cinéma pour ne plus s’intéresser qu’à la littérature, la poésie et le théâtre. Lui, dont la bibliothèque était légendaire dans notre milieu, lisait beaucoup et écrivait. Nous nous souvenons particulièrement de sa pièce de théâtre sur la lutte du peuple palestinien, qu’il avait mise en scène de façon admirable avec ses élèves encore lycéens. Un jour, nous lui avions demandé pourquoi il restait au lycée de Boufarik. Il nous avait répondu qu’il tenait à cette petite ville de la Mitidja car elle était proche de Blida où il se rendait fréquemment pour des promenades solitaires à l’hôpital psychiatrique, en quête de l’esprit de Fanon.

En rapportant cela, nous pensons tout naturellement au compatriote de Daniel, à son aîné, l’immense Aimé Césaire. C’est en effet Daniel qui nous a fait découvrir et aimer les livres, la poésie, tous les textes écrits par cet homme que nous trouvions si proche de nous que nous le considérions nôtre. En effet, si Césaire était martiniquais et français, il était aussi africain, asiatique, latino. En résumé et surtout, il était le père, le compagnon de tous «les damnés de la terre». Daniel, qui nous expliquait cela avec intelligence et conviction, refusait que l’on réduise ce grand combattant de la liberté au seul concept de «négritude». Et nous comprenions ses positions, lui qui était si fier de sa filiation avec le «nègre intégral».

Aujourd’hui que Césaire est parti, que le «volcan» est éteint, que Daniel n’est plus chez nous, que beaucoup d’amis nous ont quittés, notre peine est grande. Mais des mots  de Ouahid nous reviennent à l’esprit et sonnent comme un rappel à l’ordre, un rappel à l’espoir. Ces mots, il nous les avait décochés un jour que nous bavardions tranquillement avec Daniel et quelques amis, adossés au tronc du célèbre ficus planté devant l’entrée de la cinémathèque : «Attention, nous avait-il prévenus l’air narquois, ce pauvre arbre risque de mourir à force de vous supporter. Regardez-le bien, il n’a presque plus de feuilles, il devient chauve comme Daniel !»

Le premier lecteur de notre texte n’est autre que Mohammed Lakhdar Hamina, l’ami MLH, nous en sommes fier et nous avons beaucoup apprécié sa réflexion, lorsque tout simplement il nous confia, qu’il se retrouvait en Daniel : «Nous nous ressemblons  lui et moi, autant il est fils de Césaire, autant je suis fils de l’Emir.» C’est pourquoi aujourd’hui nous nous posons naïvement la question : «Pourquoi le film sur L’émir Abdelkader n’a pas été confié à MLH ?

https://www.elwatan.com/archives/culture-archives/juste-un-mot-lami-martiniquais-2-07-11-2013

 


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