Boufarik, épicentre du coronavirus, sort douloureusement d’un mois de confinement total qui coincide avec le début du ramadhan. Ses habitants réaprennent à vivre normalement. Ou presque...

Il est 8h35 en ce deuxième jour du Ramadhan quand Boufarik se réveille lentement, comme sonnée. Sous une pluie fine, la ville des Oranges respire légèrement mieux depuis qu’elle est partiellement déconfinée. Le siège est levé. Mais le poids de l’isolement sanitaire pèse encore sur elle. La mythique plaine entourée des marécages de la Mitidja, ne pouvait traverser le mois sacré coupée du monde. Capitale des marchés de gros de fruits et légumes, Boufarik à l’instar des autres localités de Blida sort péniblement de sa quarantaine. Elle tente de renouer avec une vie normale et surtout retrouver ses couleurs. 

Toujours barricadés par les barrages de la Gendarmerie et de la police, les accès à Boufarik sont filtrés. À l’entrée nord de la ville, les commerces de zlabia sont fermés. Triste et inhabituel décor d’une cité qui respire l’odeur de cette confiserie dont la réputation va au-delà des frontières. Traditionnellement à cette heure-ci et en cette période si spéciale, les fours tournaient à plein régime. Mais, la pandémie à chamboulé les habitudes pourtant profondément ancrées.

Le confinement partiel annoncé par le gouvernement n’aura finalement pas mis à fin au cauchemar des Blidéens, encore moins à celui des Boufarikois, eux qui attendaient impatiemment ce mois sacré du Ramadhan pour relancer l’activité commerciale. Notamment la zlabia, une spécialité traditionnelle chère à cette région. 

Le boulevard principal de la ville donne un avant-goût du reste de la journée qui, pour les Boufarikois, est limitée à faire les emplettes. Sans plus. Petit à petit, les artères se congestionnent par le flux automobile. Les commerçants lèvent rideau les uns après les autres. Les habitants n’ont pas le choix. Ils sont obligés de faire vite. À 14 heures, le couvre-feu sanitaire reprendra, lui aussi, ses droits et imposera sa loi. Sept heures chronos pour s’approvisionner.

Les Boufarikois profitent de la lumière du jour, s’oxygènent et s’en donnent à cœur joie pour faire la tournée des quelques magasins ouverts et des marchés de proximité pour acheter les ingrédients nécessaires pour préparer le f’tour familial. Sur la route qui mène vers Soumaâ, les marchands ambulants ont déjà étalé leurs marchandises. Des fruits et légumes aux multiples couleurs et saveurs. Aux marchés Foug-la-Gare et Zenket Laârab, les premiers clients arrivent. De la pomme de terre, de la tomate, des aubergines, l’orange Thomson, des herbes de toutes sortes fraîchement cueillies des jardins et des pépinières, sont étalés fièrement.

Les commerçants se réjouissent d’avoir repris leur activité. La ville retrouve petit à petit son ambiance perdue. “C’est notre gagne-pain. On ne vit que de ces produits qu’on cultive dans nos propres jardins. Même durant le confinement total, les gens viennent chez nous, car nos produits sont moins chers et frais. Cela ne veut pas dire qu’on ne respecte pas les mesures sanitaires prises par le wali de Blida”, témoigne un marchand ambulant.

Son fils, un jeune collégien, les bras pleins d’herbes fraîches, arrive sur les lieux. “J’essaye d’aider mon père, car il est très fatigué. C’est moi-même qui cueille ces herbes et qui les nettoie. Après, je rentre à la maison”, dira fièrement ce garçon qui, visiblement, est impacté par le confinement. “Je peux tout oublier, sauf mes cours à la maison. C’est difficile, car on ne joue pas comme avant au football”, ajoute cet écolier qui quitte aussitôt les lieux.

Peu de gestes barrières et trop de stigmatisation

En face de ces champs et de ces marécages, une pharmacienne, nous accueille à bras ouverts. Avouant que les conditions de travail étaient extrêmement rudes durant le confinement total, notre pharmacienne, biologiste de formation, a improvisé une sorte de “bulle” pour éviter la propagation du coronavirus dans son commerce. “On nous distribue régulièrement 30 bavettes pour nous protéger. Certes, c’est insuffisant, mais c’est mieux que rien pour pouvoir assurer la continuité du service”, témoigne cette dame qui regrette le non-respect les mesures de distanciation sociale au centre-ville et dans les marchés couverts. 

En revanche, à quelques encablures de Halouia et Garouaou, les citoyens sont plutôt méfiants et vigilants. “On préfère garder nos distances, non pas parce que nous ne sommes pas solidaires avec nos amis et voisins de Halouia et de Garouaou, mais pour éviter les cas de contamination”, explique un autre commerçant qui travaille à peine deux heures par jour.

Notre témoin assure que, depuis le passage au confinement partiel, le risque d’un effet de foule est perceptible, même si la plupart des habitants sont vigilants. Ce n’est pas le cas au marché Gawa, attenant à l’hôpital de Boufarik où, pourtant, un couloir de désinfection est installé pour parer à l’irréparable. “On vit comme on peut. Chaque jour, je prépare les feuilles de brik à la maison et je viens les vendre dans ce marché.

Ça marche très bien et ça me permet de faire des provisions pour mes enfants. Mes voisines font de même. Elles préparent de la zlabia traditionnelle pour se débrouiller durant cette crise. On doit survivre au coronavirus”, nous dira cette dame qui regrette que la localité de Boufarik soit associée à une pandémie qui touche les quatre coins de la planète. Cette stigmatisation, les Boufarikois la vivent mal. 

“On avait l’impression de vivre à Gaza”
Mère de six enfants, cette dame raconte que lors du dernier décès de son oncle à Alger des suites d’un arrêt cardiaque, les gens ont évité toute sa famille, estimant qu’il avait succombé au coronavirus, car il était originaire de Boufarik. “Ce qu’on vit est dramatique. On souffre de l’intérieur, mais nous n’avons pas le choix. Pour soigner ma fille d’une angine, j’ai recouru à la médecine traditionnelle. Les cabinets médicaux privés sont fermés et j’ai peur d’évacuer ma fille vers un hôpital”, déplore-t-elle.

Dentiste de son état au centre-ville de Boufarik, C. Nassim avoue, quant à lui, que beaucoup de choses ont changé depuis le passage au confinement partiel. “Beaucoup d’activités ont repris comme vous le voyez, mais pas nous les dentistes. C’est un métier à risque. Sinon, les métiers de la quincaillerie, les mécaniciens, les vendeurs de pièce de rechange, les plombiers ou encore les boutiques de services ont repris”, témoigne ce médecin qui, par ailleurs, soulève le problème de non-respect des mesures de distanciation sociale à la poste. “C’est le même problème avec la distribution du lait, alors qu’il n’y a pas de pénurie.

Je ne vois pas pourquoi les gens se bousculent. Il n’y a aucune barrière entre les consommateurs. Et ça, c’est dangereux !”, explique notre interlocuteur qui se réjouit, lui aussi, du passage au confinement partiel. “Lors du confinement total, on avait l’impression de vivre dans la bande de Gaza. C’est une grande prison. On vivait dans un stress quotidien extraordinaire. Dieu merci, je vis dans un appartement spacieux.

Mais, il y a des familles nombreuses qui sont confinées dans un espace exigu ce qui fait de cette promiscuité un facteur déstabilisant et stressant”, explique encore ce médecin. Celui-ci a estimé qu’il n’était pas évident de demander aux citoyens qui n’ont aucune ressource financière de rester chez eux. Pour lui, il était temps pour les pouvoirs publics de faire appel aux associations pour mieux organiser ce confinement pour pouvoir aider ces familles qui vivent sous le seuil de pauvreté. 

“Boufarik est triste sans sa zlabia” 
Il est 10h, le centre-ville grouille de monde. Malgré le climat maussade et la triste humeur que dégage la ville de Boufarik, les citoyens vaquent à leurs occupations. Sur le fameux boulevard du commerce de la zlabia, en cette période festive du mois du Ramadhan, les rideaux des quelques 50 marchands de cette confiserie sont baissés.

La mine triste, leurs propriétaires sont assis devant leur commerce à guetter la moindre nouvelle qui annoncerait la réouverture de leurs échopes. C’est le cas du propriétaire du magasin, Ammi Halim, qui nous introduit dans ses locaux sans vie. Les moules et les casseroles ramassés, les fours éteints, il se dit ruiné par le passage du coronavirus. “

On avait tout préparé pour reprendre l’activité. On avait l’espoir qu’après le passage au confinement partiel, le marché de la zlabia allait redémarrer. À la dernière minute, la wilaya a décidé d’interdire cette activité par peur que l’épidémie ne gagne aussitôt la ville. C’est une décision sage pour nous tous. Mais, les dégâts collatéraux sont aussi importants pour nous qui fructifions notre activité pour amortir nos investissements”, se désole Ammi Halim.

Son fils cadet nous montre les ustensiles récemment acquis pour renouveler l’ensemble de la logistique de ce commerce situé au cœur de Boufarik. “On espère que cette pandémie cesse, sinon on aura du mal à faire vivre les 10 employés qui travaillent chez nous”, craint-il. Même son de cloche chez Kaddour, lui aussi, marchand de zlabia depuis longtemps. Ce jeune propriétaire est plutôt optimiste quant à la réouverture des commerces d’ici le 29 avril prochain. Scotché à son téléphone, il espère recevoir une bonne nouvelle lui annonçant la reprise de l’activité. “Nous sommes préparés pour la reprise.

Quitte à renforcer les règles d’hygiène concernant la lutte contre le coronavirus. Mais, si d’ici le 29 avril, on maintient cette interdiction, ce sera l’asphyxie pour nous. Je vous le dis du fond du cœur, Boufarik est triste sans sa zlabia”, lâche ce jeune commerçant. Dernière image avant de quitter Boufarik. Une file interminable s’est formée à la station-service située à la sortie nord de la ville. “Boufarik a changé, c’est déjà ça. Nous commençons à respirer. On espère le faire encore mieux si Dieu le veut”, commente un automobiliste coincé dans la file depuis 45 minutes comme pour tromper son impatience. 

 

 

Reportage réalisé par  : Farid Belgacem

https://www.liberte-algerie.com/actualite/boufarik-le-printemps-renait-337902

 

 


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