Lounès Ouelmokhtar est diplômé en électrotechnique et gère une boîte d’informatique à Boufarik avec, en guise de vitrine, un cybercafé qui a pignon sur rue dans la «ville des Oranges».
Aujourd’hui, il s’apprête à changer complètement d’activité en montant une petite entreprise agroalimentaire novatrice sous tous rapports. Son originalité est qu’elle s’inspire d’un concept relativement récent : l’entrepreneuriat social solidaire. L’idée de Lounès est d’associer une centaine de petits fabricants artisanaux de produits agroalimentaires implantés dans le Mitidja sur la base de contrats équitables qui s’inscrivent dans le «commerce éthique». «Notre entreprise va faire de la collecte, du conditionnement et de la commercialisation de produits de terroir», explique notre hôte qui nous a reçus gentiment dans son cyber en nous disant, plaisantant à peine : «Je veux changer, la technologie commence à me fatiguer.» Si tout va bien, la start-up devrait être opérationnelle en mai 2016.
L’entreprise (qui porte le nom de son créateur) va se limiter, dans un premier temps, à trois produits : les pâtes traditionnelles, les concentrés (de tomate, de piment et de poivron) et les vinaigres de cidre (pommes et poires). «Le problème est que ces produits qui se vendent un peu partout n’ont pas de traçabilité», relève Lounès. «Nous, on va recenser ces producteurs et établir un contrat avec eux. Le produit, on va le tester pour vérifier s’il est conforme ou non, ensuite on va le conditionner et le commercialiser.» Lounès s’empresse de préciser : «Ce que je fais, ce sont des produits naturels, ce n’est pas du bio».
«Mais il n’y aura pas d’additifs alimentaires et pas de conservateurs dans nos produits», assure-t-il. Pour le conditionnement, «on ne va pas utiliser de plastique», s’engage M. Ouelmokhtar. «Et c’est là qu’intervient notre travail. On va utiliser des emballages recyclables ou des emballages utiles, soit en papier, qui est biodégradable, soit en verre, ou encore des sacs en tissu qu’on peut réutiliser chez soi.»
Lounès a tout mis en œuvre pour réussir sa reconversion. Ainsi, il a suivi une double formation pour mieux s’initier aux arcanes du management et aux outils de l’entrepreneuriat social. D’abord une formation dans le cadre du programme SwitchMed financé par l’Union européenne, et qui vise à «renforcer les innovations sociales et écologiques en Méditerranée». La formation en question s’est déroulée de novembre 2015 à janvier 2016 et a été assurée par le Centre national des technologies de la production propre (CNTPP) basé à Hussein Dey. La deuxième formation s’inscrivait quant à elle dans le cadre du programme MEPI (Middle East Partnership Initiative) financé par l’ambassade des Etats-Unis en Algérie. Cette deuxième formation a été encadrée par l’Association des femmes en économie verte (AFEV).
«Les petits fabricants se font souvent exploiter»
Par ailleurs, et avant de se lancer dans ce créneau, Lounès a fait sa petite étude de marché. Il a pris le temps d’observer, de sillonner la plaine en allant à la rencontre de tous ces petits fabricants discrets qui travaillent le plus souvent à domicile, et qui ne disposent que de moyens dérisoires.
Il rêve d’une entreprise «viable, économiquement rentable et socialement utile». «C’est le principe même de l’entrepreneuriat social solidaire», explique-t-il. «La démarche ‘‘sociale solidaire’’ est la plus appropriée pour valoriser leur labeur», estime Lounès Ouelmokhtar. Car dans ce monde, l’arnaque n’est jamais loin. «Ils se font souvent exploiter», dénonce l’ingénieur. «La fabrication se fait surtout dans les zones rurales, autour de Bensalah, Mellaha, Oued El Allaeug…
Mais la commercialisation reste archaïque. Généralement, ils font le produit chez eux. Ils ont recours à un conditionnement précaire type bouteilles en plastique comme pour l’huile d’olive. Après, ils les déposent au niveau des petits magasins, dans les quartiers. Et ils sont chichement payés.» Lounès poursuit : «Les gens qui travaillent chez eux ne sont pas recensés, pas structurés, ils n’ont pas d’assurance. Nous, on veut les orienter pour qu’ils puissent avoir une carte d’artisan et une couverture sociale.» «La structuration des petits fabricants est primordiale», plaide-t-il. Lounès envisage aussi de leur prodiguer une formation pour améliorer le processus de fabrication et «diminuer la teneur en eau et en sel». «La formation sera gratuite ou à prix symbolique.
On voudrait ramener des gens qui ont de l’expérience pour transmettre leur savoir-faire.» Concernant la centaine de fabricants identifiés, et qui vont fournir le produit de base (concentré de tomate, vinaigre, pâtes…), Lounès Ouelmokhtar prévoit de les accompagner en leur fournissant la matière première et éventuellement de l’équipement. «Beaucoup n’ont même pas les moyens d’acquérir la quantité de tomate nécessaire», dit Lounès. «Le vinaigre demande un matériel de stockage très cher. C’est 2 millions de dinars la citerne.»
Outre l’assurance d’écouler confortablement leur production, nos artisans de l’agroalimentaire pourraient toucher des bénéfices à la fin de chaque exercice «après les bilans, et en fonction de la qualité du produit». «Il y aura une fiche de suivi pour chaque fabricant», indique notre «ingénieur social». Lounès Ouelmokhtar est confiant quant à la qualité du produit qui sortira de ses machines : «Il y aura une différence immédiate avec le concentré de tomate industriel par exemple». Et avec ça, promet-il, «le prix sera très abordable».
Source: El Watan - 3 avril 2016