Comment peut-on imaginer des activités culturelles dans une ville ainsi désertée par l’attitude citoyenne et le sens des responsabilités ?


Boufarik est une ville peu engageante. Les platanes qui bordent ses artères ont leurs troncs vermoulus et noirâtres parce que rongés par on ne sait quel mal. Ces arbres, qui, jadis, rafraîchissaient les avenues et leur donnaient un certain charme, sont en train de mourir. Les rues sont parsemées de nids-de-poule et de grandes flaques d’eau boueuse. La circulation automobile, malgré des voies tirées au cordeau dans une plaine plate, y est malaisée, voire carrément difficile. La circulation piétonne n’est pas plus enviable à cause des commerces ambulants qui envahissent tous les espaces.

C’est par un haut-le-cœur que le même visiteur est saisi lorsqu’il arrive devant le siège de la mairie. L’ensemble des bâtiments bordant la place centrale sont en décrépitude comme si la ville n’avait jamais eu d’autorité pour la gérer et remédier aux effets du temps. La mairie, elle-même, est dans un état de délabrement tellement avancé qu’on la dirait totalement abandonnée. A l’intérieur, on est confrontés à un spectacle encore plus frappant : dans plusieurs bureaux, les plafonds se sont effondrés ou menacent de le faire.

Comment peut-on imaginer des activités culturelles dans une ville ainsi désertée par le sens des responsabilités ? Si le siège lui-même où se réunissent les élus censés veiller à la gestion de la circonscription est dans l’état que nous venons de découvrir, quel est alors l’état des infrastructures culturelles ? Que sont devenues celles qui étaient là dans les années cinquante, soixante, soixante-dix et quatre-vingt et dont ont hérité les élus actuellement en place ? Que font les administrations centrales et de wilaya pour pallier une telle situation ? Nous avions un rendez-vous ferme avec le président d’APC de Boufarik ce jeudi 7 janvier, pour aborder ces questions. A l’heure indiquée, notre édile se trouvait en réunion à la wilaya de Blida. C’est donc Farid Abdaoui, cadre technique de la commune, qui nous a guidés et répondu à nos interrogations. Le tour de la question fut rapide, très rapide.

C’est simple, il n’y a plus ni infrastructures ni activité culturelle dans la ville et la daïra des oranges. En ce domaine, nous sommes dans un désert où il ne se passe plus rien depuis pratiquement 20 ans. L’agglomération qui compte près de 60 000 habitants a été dépouillée de l’ensemble de ses infrastructures culturelles. Abordons d’abord le sort du Mitidja (ex-Colisée), une grande salle polyvalente, de plus de mille places, qui a connu des heures de gloire jusqu’en 1990 et a permis à la ville d’avoir sa propre troupe théâtrale. Cette salle qui accueillait également des représentations théâtrales venant d’autres villes algériennes a vu défiler des noms célèbres dont l’inoubliable Alloula. Boufarik disposait de pas moins de quatre salles de cinéma dont celle du fameux théâtre Mitidja.

Aujourd’hui, deux ont disparu parce que leurs propriétaires les ont transformées, ont construit dessus et ont changé d’activité. Les deux autres n’assurent plus leur mission depuis près de 20 ans et sont en train de tomber en ruines. L’ex-Colisée, ouvert en tant que théâtre il y a un siècle et demi, en 1857, sert maintenant de volière aux pigeons. Avec une toiture dont il ne reste que quelques tuiles verdies par le temps, des fenêtres éventrées, des murs tristes et plusieurs salles annexes pleines de fiente, le Mitidja est méconnaissable. Il est évident qu’on a laissé ce temple du spectacle et de la culture s’effriter comme si on voulait éradiquer un art qui est toujours considéré par certains, les islamistes en particulier, mais aussi par certains courants du parti FLN, comme subversif.

L’édifice a en plus été amputé d’une partie de sa superficie. Aux temps troubles de la confrontation avec les salafistes du FIS, un secrétaire général de mairie, peu scrupuleux et peu soucieux de la préservation du patrimoine public, permit, au nez et la barbe d’un président d’Assemblée populaire communale (APC) analphabète, la cession d’une aile du théâtre qui fut privatisée et transformée en appartement et revendue. Les responsables qui vinrent par la suite et l’exécutif actuel mené par le FLN ne déployèrent pas les efforts nécessaires pour récupérer les locaux en question. Pire, ils laissèrent l’indu occupant procéder à des transformations préjudiciables à l’intégrité du théâtre.

Contacté au téléphone, l’actuel maire FLN semble avoir abandonné la partie puisque « la justice a rendu un verdict favorable » à celui qui occupe indûment une partie de l’édifice. La deuxième attaque contre la culture à Boufarik a été portée contre le livre et la lecture. Au cœur de la place, en face du siège de la commune, Boufarik s’enorgueillissait de la possession d’une bibliothèque qui occupait l’essentiel de la salle Tassili (une ancienne église transformée). Celle-ci a également été sacrifiée. Sous prétexte d’un projet de rénovation, les six à huit mille ouvrages ont été transférés dans les locaux de la crèche communale où ils sont stockés dans des conditions qui mettent en danger le fonds documentaire.

Grandeur et décadence

En effet, les travaux de rénovation, on n’en voit pas le début, et le Tassili est maintenant désespérément vide. On a ainsi fait d’une pierre deux coups : les autorités communales, bénéficiant d’un incompréhensible silence des autorités de wilaya et des ministères concernés, ont privé la population de lecture et les femmes travailleuses d’une précieuse crèche pour leurs enfants. La salle Tassili a pour sa part été neutralisée. Elle ne sert plus qu’occasionnellement durant l’été pour l’organisation de fêtes. Autre perte ressentie douloureusement par la population de Boufarik : le centre culturel. Ouvert en 1981 sous l’impulsion d’Ali Slimani, son premier directeur, et jusqu’à 1989, cette institution culturelle, qui s’est organisée autour du théâtre, connut une activité en constante évolution qui finit par attirer des centaines de jeunes et de moins jeunes. Clubs de spéléologie, d’astronomie, d’énergie solaire, club informatique, plusieurs associations de musique…

C’était un lieu qui drainait des centaines de jeunes vers de bonnes occupations ludiques et scientifiques les soustrayant ainsi au désœuvrement, à la fréquentation stérile des cafés maures et aux lieux malfamés où coulent les alcools et se distribuent les drogues. C’est justement ce que redoutent les Boufarikois. « Nos enfants n’ont pas où aller, de plus la région ne leur offre aucune chance à l’emploi, alors ils se tournent vers le vol et la drogue et certains d’entre eux finissent en prison », déplore un père de famille. Les attaques contre le centre culturel sont d’abord venues des islamistes fanatiques du FIS qui y voyaient un concurrent pour la mosquée où ils distillaient leur propagande cinq fois par jour.

Plus tard, les partis de la coalition qui s’installa durablement au pouvoir n’allèrent pas plus loin que les effets d’annonce bouteflikiens des programmes présidentiels. Voilà 10 ans que Bouteflika est au pouvoir et voilà 10 ans que la culture algérienne poursuit une sorte de descente aux enfers. On a encore une fois la preuve que les pouvoirs guidés par le fanatisme ou par l’autoritarisme n’apprécient pas ce genre de lieux où la population peut se forger positivement un esprit citoyen. Abandonné, suite aux attaques islamistes contre la culture, le centre de Boufarik finit par être squatté par les élus (ou ceux qui prétendent être des élus), ceux-là mêmes censés prendre des initiatives pour lui redonner vie. Les mauvaises solutions étant parfois les plus faciles, il y a environ une année, s’avérant incapable de garder en état de fonctionnalité les bâtiments de la mairie, l’exécutif communal déplaça les services de cette dernière dans les locaux du centre culturel et renvoya ainsi à plus tard l’idée d’un redémarrage des activités.

Le déménagement n’a pas dû être bien difficile, parce que les deux bâtiments sont accolés l’un à l’autre. Il suffisait d’ouvrir un passage et le centre culturel disparut. Questionné à propos des sentiments que lui inspire la situation actuelle, Ali Slimani, le premier directeur du centre culturel de Boufarik et ancien député RND, évoque les années 80 avec regret : « Dans le temps, il y avait chaque week-end un gala artistique dans la ville. Il y avait de nombreuses activités et le centre attirait beaucoup de jeunes. Tout cela a disparu maintenant. Nous voilà dorénavant devant un vide culturel effrayant, et une telle situation va entrouvrir la voie à beaucoup de choses malsaines. C’est à peine croyable, une ville aussi grande ne dispose même pas d’une bibliothèque. Les étudiants et autres lycéens n’ont même pas où aller, ne serait-ce que pour réviser leurs cours, sachant que les familles sont nombreuses et donc à l’étroit dans leurs intérieurs. Il est grand temps de réhabiliter ce secteur. »En parlant de réhabilitation et d’un éventuel redémarrage des activités culturelles, les autorités sortent les projets actuellement dans les tiroirs.

Les enveloppes financières sont d’ores et déjà dégagées, nous assure-t-on à la mairie : 6,7 millions de dinars pour la restauration et la réhabilitation dont 1,7 pour la salle polyvalente, le Mitidja, et 5 millions pour le centre culturel. A titre de comparaison, 42,5 millions de dinars sont affectés à la réfection du siège de la mairie. Il est fort peu probable que la salle polyvalente puisse ouvrir de sitôt ses portes. Les 1,7 million de dinars qui lui sont affectés permettront à peine de retaper la toiture et les murs, alors que tout est à refaire (boiserie, vitrages, sièges et autres dépendances). Il est probable que la population attendra donc encore des lustres pour revoir cette salle ouverte. Maigre également est la somme allouée à la restauration du centre culturel. En attendant, la maison de jeunes de la cité Soummam (dite Dallas) continuera à être le seul centre d’activités pour la jeunesse. Mais là, il est difficile de parler de culture. Cette maison sous tutelle du ministère de la Jeunesse et des Sports a belle allure au regard de l’état des infrastructures culturelles de Boufarik, mais elle ne peut en aucun cas remplacer les lieux de culture qui ont été condamnés.


Source : El Watan


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